Errances Poétiques
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 Moderato Cantabile, Marguerite Duras

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Meiowen

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Meiowen

Messages : 173
Date d'inscription : 01/05/2012
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Moderato Cantabile, Marguerite Duras Vide
MessageSujet: Moderato Cantabile, Marguerite Duras   Moderato Cantabile, Marguerite Duras EmptySam 23 Juin - 15:35

Bonjour,

Je suis une lectrice compulsive mais désordonnée au possible. Résultat: mes acquis de lecture finissent souvent vagues (tel livre m'a plu mais quant à me souvenir pourquoi...) et, par peur d'une déception quand j'en garde un bon souvenir, par flemme quand ce n'est pas le cas, j'ose rarement les relire...

Or, le but de la lecture, c'est autant ce qui reste, la "substantifique moelle" de Thoreau, que l'ouverture du moment même, l'évasion qu'offre l'oeuvre. Il y a aussi une finalité. Un livre nous emmène vers d'autres horizons, mais il nous montre des chemins plus lointains encore à parcourir nous-mêmes. C'est sans doute cela qu'il faudrait retenir pour progresser par la littérature, trouver des parallèles, concrétiser les mots pour avancer dans la vie.

Je vais donc compter sur la rubrique "lectures" du forum pour tenter d'acquérir un peu plus de méthode (ènième résolution! Rolling Eyes )

Première "chronique littéraire", donc, un roman singulier s'il en est.

Pour expliquer le style très scolaire de l'analyse en question, il s'agit justement d'une fiche de lecture (1ère Littéraire).


Marguerite Duras,
« Moderato Cantabile »

Thèmes choisis : Tout d’abord l’intrigue, en l’apparence banale, qui s’insinue au fil des pages pour échapper aux apparences. Puis le style, remarquable de retenue suggestive, qui souligne l’ambiguïté de la structure. Ensuite le gouffre qui apparaît entre la mère et son enfant suivi de la relation étrange qui lie peu à peu Anne Desbaresdes à Chauvin. Enfin, quelques impressions générales.

Ce roman de Marguerite Duras pourrait de par son style s’apparenter à un essai. Sous son apparente superficialité, la profondeur intime qu’il donne aux personnages est une des caractéristiques d’un mouvement littéraire inédit (nous sommes en 1958) représenté par des écrivains singuliers : le Nouveau Roman.

Tout commence par un cours de piano subitement interrompu par un crime passionnel. Anne Desbaresdes, inquiète, découvre au café d’en-dessous un homme ensanglanté au regard fou qui embrasse éperdument une jeune morte.
Le lendemain, Anne retourne, troublée, sur les lieux du drame.
En l’apparence, le scénario n’a rien d’exceptionnel. Un drame sur fond d’intrigue criminelle ? Non, peu à peu se mélangent fantasmes et réalités pour constituer une trame troublante, une litanie ordinaire et sans réponse.
Au café, Anne fait la connaissance d’un autre témoin, Chauvin, qui se trouve être avoir été l’un des employés de son mari, riche propriétaire industriel. Soirs après soirs, ils se retrouvent dans ce même café et, le vin aidant, s’interrogent mutuellement sur cette passion destructrice. Ils inventent une vie à ces deux inconnus et peu à peu, Anne, malgré son état de confusion, se met à désirer Chauvin. Sans doute que lui aussi. Leurs tentatives de garder leurs distances sont ambigües. Ils se prennent au jeu jusqu’à s’identifier d’abord à leur insu aux deux protagonistes de cet amour mortifère. Lors d’un dîner « forcé », elle n’aura de cesse de le retrouver et lui de l’attendre. Ils se retrouveront. Leurs lèvres se frôleront un instant, dans un instant hors du temps, marqué par l’abandon total de la vie, et tous les deux retourneront chacun de leur côté à leur anonymat. Ils se quittent d’un commun accord, bouleversés.

Cette intrigue finalement très fine puisqu’un drame menace de se renouveler à l’insu d’Anne et de Chauvin sur la piste d’une vérité qui ne leur appartient pas (ou pas encore ?), est servie par un style étonnant, tout en non-dits, en suggestions et en sous-entendus. A la fin du récit, rien n’est élucidé. Marguerite Duras laisse au lecteur le soin d’imaginer et d’interpréter une histoire dont elle n’esquisse que la trame. Il ne se passe explicitement presque rien. Les soirs se suivent et se ressemblent, lentement, avec quelques accès soudains de désespoir vite étouffés par l’épaisseur du quotidien. Tout est contenu dans l’ambiance et dans le ressenti. Le récit est au passé simple, sans fioriture ni détails superflus. La lecture achevée laisse une impression étrange : difficile de savoir que penser de cet étrange ballet rendu volontairement lointain par le minimalisme de l’auteure : la mère, l’enfant, l’inconnu, le café, la sonatine de Diabelli comme un laïc-motif. L’histoire d’Anne Desbaresdes nous apparaît comme dans un songe, bercé par le roulis des flots et une routine oppressante.

Etrangement, les personnages de ce roman sont d’autant plus complexes qu’on ne sait presque rien d’eux. Anne Desbaresdes est l’épouse d’un riche propriétaire industriel, donc une bourgeoise. Elle est quelquefois invitée à des dîners de « haute société » si l’on peut dire. Elle a un petit garçon « difficile » (surtout récalcitrant à apprendre le piano), elle semble heureuse. C’est une mère aimante et protectrice.
Sa vie bascule avec ce cri. Dans sa volonté de justifier la fin tragique de l’amour passionnel dont elle n’a saisi que les derniers instants, Anne, sans s’en rendre compte, creuse au plus profond d’elle-même. Peu à peu, « prisonnière » de l’alcool, de l’incertitude et de ses rencontres avec Chauvin, elle s’éloigne de son enfant. Déstabilisée, aspirée par sa quête de vérité comme dans un « jeu » dangereux, noyée dans ses fantasmes, Anne dérive. Un mur d’incompréhension se dresse désormais entre elle et la candeur de son enfant. Il n’assiste pas à ses discussions au café, il joue. Il ne peut pas comprendre.
Anne est issue d’un milieu bourgeois et sa vie était jusqu’alors tranquille. Chauvin, ancien employé d’usine, vient d’un milieu plus modeste. Peu à peu, les deux se découvrent. Anne comprend que Chauvin l’épie, elle ne dit rien. Tous deux se perdent dans leur quête de vérité, il ne ressort de leurs dialogues pourtant véritables presque rien. Sauf un renoncement total, le dernier jour : le baiser qu’ils échangeront en sera le témoin. Il boucle la boucle avec celui de l’homme qui étreignait sa femme morte. Rien n’a changé.

Anne et Chauvin, le café. La répétition tout au long du livre de cette scène somme toute banale crée une atmosphère trouble, témoin de désirs enfouis et torturés. Il s’agit d’un récit étonnant, brut, dépouillé, composé pour l’essentiel de dialogues répétitifs qui ne mènent à rien, sinon à nous interroger sur la vanité de notre existence et notre inéluctable solitude. En cela, je pense que ce roman peut s’apparenter à un essai : une réflexion sous-jacente romancée, justement. Une mise en abyme.


Arrow En bref, ne vous attendez pas à une histoire "palpitante" au sens premier du terme: Il ne se passe rien. Ou, plus exactement, c'est "l'aventure de l'écriture" qui prime sur "l'écriture de l'aventure" (selon la formule d'un des théoriciens du Nouveau Roman). L'histoire telle qu'elle est racontée est une trame vague qui ne mène à rien. Tout revient à son point de départ: les deux témoins prennent conscience de l'absurdité de leurs rencontres et décident d'un commun accord de se séparer. Ils retournent en quelque sorte dans un anonymat qu'ils n'ont jamais quitté. Oui mais... n'y a-t-il pas une raison plus profonde? Un drame non explicite qui menace de se répéter? Peut-être. A chacun son interprétation. Et c'est cela sans doute qui fait la richesse de cette oeuvre. L'absurde amène à s'interroger.

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Moderato Cantabile, Marguerite Duras

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