Le parfum de l'aube révèle des senteurs jusqu'alors endormies, un zeste de cannelle fruitée, une once de rose et quelques légères senteurs de forêts. En parlant de ces dernières, j'en ai traversé de nombreuses pour te trouver. Je me souviens de chacun de mes pas, les plus simples comme les plus délicats. En amont dans les grandes montagnes, je surplombais la ville et ses lumières en surnombre, m'aveuglant comme autant de phares, et je pouvais observer par delà les cieux ce que le cosmos avait de plus beau à m'offrir. Ma rétine était flattée, mais en comparaison à notre rencontre, cela n'était que du sable, et encore. Ta découverte a tout ébranlé en moi. Sur la grande place, ta simple présence m'avait fait suffoquer. Je savais que tu pouvais sectionner mon corps si frêle à ce moment, pris entre les tenailles d'un ciseau des plus prodigieux puisqu'il t'appartenait, après tout. Tout chez toi invitait à la sérénité. Ton corps, au premier abord si fragile, représentait au mieux la symbiose entre la féminité, - cette incarnation à la diaphanéité surprenante car puissante -, et la communion entre tous les éléments présents et éparpillés de la nature. Tu tenais une fleur entre tes doigts angéliques, elle se déployait vers l'avant comme pour secréter son plus fastueux parfum dans un élan de bonté, et, durant un instant, ses couleurs se ravivèrent, comme si tu lui avais offert un peu d'amour. Je me suis rapproché de toi, pour mieux te contempler, mieux te sentir. Qui donc avait envoyé cette merveille sur Terre ?
Tes cheveux étaient légèrement en bataille, sûrement à cause de la brise qui s'étendait dans les ruelles anciennes de la ville. Ils délivraient de multiples parfums, tous plus suaves les uns que les autres. Ainsi se succédèrent les effluves de la lavande, du miel et aussi de la cerise, se mêlant dans l'air ambré. La foule ne me faisait plus peur, j'étais à quelques mètres de toi, et tes yeux scintillants me poignardèrent le cœur, tant leur couleur était intense et impétueuse. Quelque chose se manigançait à l'intérieur de moi, de fortes bourrasques m'envahirent, une tempête se déclara officiellement, je m'étais épris d'une déesse alors que je ne lui arrivais sans doute pas à l'orteil et que je ne la connaissais même pas.

Tu m'avais littéralement foudroyé, si bien que j'étais tétanisé par ce sentiment si noble liant deux êtres, tantôt sur une courte durée, et parfois pour toujours. Il arrive même que ce sentiment se projette dans le bassin de l'éternité, les deux amants s'aimant respectivement tels deux aimants opposés et parfaitement contraires, ils n'ont alors plus rien à envier aux plus grands amours. Les sentiments mutent et l'amour devient platonique, mais il est d'un plus parfait aboutissement que celui de reposer dans un lit de roses et de lierres, à deux, sous une lune d'une blancheur immuable et impérissable. Elle n'a qu'un unique défaut : son extrême froideur. Aucune incidence, les deux amoureux sont des brasiers. À mesure que le soleil se lève alors, la gravité se fait moindre, et ils s'envolent, paisibles, plein de rêves, morts et pourtant bien vivants, ils traversent des tunnels étoilés, sont parfaitement implantés dans le cosmos, en harmonie avec lui, ils dialoguent, savent, écrivent la suite de l'histoire de leur monde et des autres mondes aussi, précisent leurs sentiments, affinent leur parcours sans jamais périr, prennent un virage pas loin d'Uranus et s'égarent bien plus loin, davantage, toujours plus, vers d'autres horizons, d'autres systèmes toujours aussi colorés.
J'espérais tellement pouvoir vivre cet instant avec toi. Avant, tout ça me paraissait absurde et sans intérêt. Quoi de plus insensées que les émotions humaines ?
Mais ce temps était visiblement révolu. Je voulais définitivement cesser d'être ce cyborg, régi par le quotidien et aussi froid que le marbre blanc qui compose la tombe de mes aïeux. Non, il fallait que je m'élève, et pour cela, j'avais besoin de toi. Mais je pensais comme l'égoïste qui vole une pomme pour la dévorer alors qu'il aurait pu la donner au mendiant trois rues plus loin, qui était pourtant bien plus dans le besoin. Je devais penser à toi aussi, c'était une obligation.
Voudrais-tu donc être enchaînée à un simple mortel comme moi ?

Je n'attendais pas de réponse concrète. Un simple regard; un mélange onctueux et quasiment imperceptible provenant du plus profond de ton être et porté par un battement de tes cils m'aurait suffi. Je comprenais parfaitement le langage du corps. Le tien transmettait tellement d'ondes, tellement de messages olfactifs et incompréhensibles au simple langage des mots, communication par ailleurs trompeuse et superflue.
Qu'importent, qu'importent les mots trompeurs, du moment qu'ils nous laissent songeurs, du moment aussi que l'on peut discuter sans user de la parole.

Je t'aimais, et je te le fis comprendre grâce à un sourire simple, gracieux, joyeux, absolument pas forcé. Tu avais aussitôt répondu. T'en souviens-tu, ma chère et tendre déesse ?